La culture aymara

puerta del sol

Considérations générales

D’après la légende, c’est de l’union des époux Manco Capac et Mama Ocllo, fils et fille du Soleil (Tata Inti), envoyés par lui sur terre, qu’est né le Pérou. Lui était Quechua, elle Aymara, ce qui expliquerait les deux cultures du Pérou. En sortant du Lac Titicaca, avec leur suite et leurs grands prêtres, une fois arrivés sur terre, ils sacrifieront un lama en l’honneur de Tata Inti. Plus tard, ils se sépareront. Elle ira vers Cuzco et lui vers Tiwanaku.

C’est ainsi que la « zone » aymara s’étend principalement des rives du Lac TITICACA jusqu’à La Paz en Bolivie.

La culture aymara est pratiquement la seule à avoir résisté, d’abord à l’envahisseur inca, de culture quechua et originaire de Cuzco, et ensuite à la  Conquista española.

Non seulement les Aymaras ont-ils sauvé leur culture, au prix de quelques adaptations pour assurer leur survie, mais surtout ont-ils conservé leur langue tout à fait différente de la langue quechua, même si les structures linguistiques sont du même type. Ils ont néanmoins adopté un certain nombre de mots quechua mais les deux langues et les deux cultures sont fondamentalement différentes.

Le peuple aymara doit donc sa survie essentiellement à sa volonté de résistance mais aussi à ses extraordinaires facultés d’assimilation sans perte d’identité culturelle.

« La mémoire historique de ce peuple nous montre que, nonobstant le fait qu’il a été conquis, dominé, colonisé, exploité et marginalisé, il a maintenu vivace sa culture. »

Ce qui caractérise le peuple aymara (par opposition au peuple quechua, plus doux, plus résigné apparemment), c’est sa volonté de perdurer comme culture et comme nation et de résister, s’opposer à tout système de domination. Le peuple aymara est beaucoup plus militant, beaucoup plus dur que le peuple quechua, ce qui fait qu’il a pu résister aux différents envahisseurs. Il a toujours eu la préoccupation de maintenir son identité culturelle et les systèmes socio-économiques et politiques sur lesquels il se fonde.

Comme déjà indiqué, le peuple aymara fut déjà opprimé lors de la marche conquérante des Incas, lesquels rencontrèrent un peuple organisé, uni et soutenu par une grande culture. Menacé dans son existence nationale, le peuple aymara acceptera « politiquement » les obligations officielles en adoptant un régime de convivialité pacifique qui lui permettra de conserver sa culture, sa langue et sa religion.

Il devra subir un autre assaut sérieux avec la conquête coloniale espagnole. Durant cette période d’imposition d’un système de domination et d’exploitation, le peuple aymara résistera et se maintiendra ferme en sa culture.

Même si ce caractère de minorité résistante reste très présent aujourd’hui, actuellement, le monde moderne est en train de réussir ce que les différentes générations de conquistadors n’ont pas pu obtenir. Ce sont les multiples moyens de communication modernes qui mettent les jeunes – et aussi mais dans une moindre mesure certains moins jeunes- en contact avec une culture qui offre une vie relativement facile et commode. En plus, le gouvernement avec son souci d’intégration nationale, établit un système éducatif contraire à la culture et aux intérêts du peuple aymara. L’acceptation passive de ce système détricote peu à peu l’esprit et le caractère de la jeunesse aymara et constitue un piège extrêmement dangereux pour cette culture.

Que dire aussi du choc entre la culture aymara et la culture occidentale ?

Aujourd’hui, le peuple aymara est confronté à son plus grand défi. Sa survie semble devoir passer par la construction d’un modèle social pluraliste et multilingue qui aura pour but de renforcer tous les secteurs tant économiques, que politiques et culturels.

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Valeurs culturelles des Aymaras

Le peuple aymara a sa propre identité culturelle, son expression idéologique, sa psychologie, son art, sa langue, etc… qui dénotent une culture singulière dans une situation géographique bien définie.

La base ancestrale du peuple aymara, c’est le « AYLLU » millénaire (vie en communauté) ainsi que sa solidarité, auxquelles il convient d’ajouter le travail, la famille, la dignité et le respect personnel, la religiosité, la fête populaire, la terre et la langue.

On peut dire que les quatre sources les plus importantes de la sagesse aymara sont le sens communautaire, les rites, la fête et le cosmos.

1 – Le sens communautaire
Les relations de complémentarité entre la communauté humaine, la nature et la divinité amènent le peuple aymara à vivre dans un équilibre qui humanise toute activité. Dans cette dynamique de relations, chacun donne vie à l’autre et il n’y a donc pas d’exploitation et de domination d’autrui. Ce principe de vie est totalement contraire à ceux qu’on leur impose actuellement de l’extérieur et fondés sur l’individualisme et la personne.

La bonté fondamentale des aymaras se remarque notamment lorsqu’ils s’unissent pour travailler ensemble, s’aidant les uns les autres. Venir en aide à un (plus) pauvre est symbole de bénédiction.

Dans la communauté aymara on retrouve solidarité et attitude de pauvreté. Le but de la vie n’est pas en la recherche d’accumulation de richesses. Au contraire, on la craint.

2 – La fête

La fête fait partie intégrante de la vie du peuple aymara.

Tout est occasion de faire la fête.

Parfois, on critique au motif qu’elle est l’occasion de s’enivrer sans se rendre compte qu’en réalité la fête implique des choses importantes comme la joie, la solidarité et tout ce qui sert au maintien de l’équilibre de la communauté.

3 – La cosmovision aymara

Pour les aymaras, l’univers est partagé en trois espaces appelés :

ALAX PACHA : le monde d’en-haut
AKA PACHA : le monde d’ici (planète terre)
MANQHA PACHA : le monde d’en bas ou de l’obscurité.

Chacun de ces mondes est habité d’êtres vivants, lesquels sont organisés hiérarchiquement avec leur chef et leurs subordonnés. Ces mondes sont en relation avec et ont de l’influence sur les humains.

ALAX PACHA  est le lieu où vivent Dieu le Père, Dieu le Fils et Dieu Esprit Saint, les anges, les apôtres, la Vierge, tous les saints et les «almas benditas » (les défunts). Les Aymaras considèrent comme très important la communication avec Dieu le Père (Dios AWKI) par l’intermédiaire des prières mais surtout de la messe célébrée par un prêtre.

AKA PACHA est ce monde-ci soit la terre où vivent les hommes, les animaux, les plantes et les esprits des montagnes et des lieux (esprits tutélaires). L’esprit ancestral (Achachila), la Mère Terre (Pacha Mama) et les esprits tutélaires (Uywiri,Tapani) sont sous le pouvoir de Dieu le Père.

Chaque communauté aymara a sa propre montagne sacrée où habite l’esprit ancestral et où les gens vont offrir leurs sacrifices et exécuter leurs rites expiatoires. Les lieux les plus importants pour ce faire sont ceux qui sont sur les sommets les plus élevés comme, par exemple, « el Achachila del volcan Misti » à AREQUIPA et la « AWICHA de SAJAMA » en Bolivie.

Chaque esprit tutélaire détient un pouvoir spécifique comme, par exemple, contrôler la foudre, la grêle, le gel, l’argent, etc…

La Pachamama, la Mère Terre, possède la force vitale qui existe sur la terre. Son rôle est étroitement relié à la fertilité et son influence est reconnue tant en ce qui concerne l’agriculture que le bétail, raison pour laquelle lui est rendu un culte important afin qu’elle se montre prodigue envers ses fils les humains par de bonnes et abondantes récoltes.

L’offrande principale à la Pachamama est « el AYTA », messe au niveau familial ou communautaire. Certaines familles et communautés lui offrent « la WILAÑCHA », soit le sacrifice d’un animal, lama ou agneau.

Le rite le plus commun est « la CH’ALLA » c’est-à-dire l’aspersion rituelle d’alcool ou d’eau bénite en l’honneur de la Pachamama et qui se pratique en toutes circonstances sociales.

MANQHA PACHA est le monde des profondeurs obscures et des ténèbres où sont concentrés tous les esprits maléfiques. Ils sont généralement appelés : SUPAYA (démon), SAXRA (Satan), ANCHANCHU (démon de la mine), ANTAWALLA (esprit maléfique avec queue de feu). Ils sont les ennemis de l’homme et sortent durant la nuit pour causer du mal tant physique que moral.

Pour les Aymaras, ces esprits maléfiques sont les maîtres de la nuit. Ils se trouvent aussi dans des endroits stratégiques comme les puits et les sources, les cavernes, les fleuves, les lacs, etc…

En ce monde des ténèbres existe aussi un ordre hiérarchique et le démon le plus important commande l’armée de diables dont chacun a une charge particulière à remplir. Certains ont en charge les minéraux, spécialement l’argent, d’autres l’amour, certains l’eau, etc…

Ces esprits maléfiques utilisent certains animaux pour les aider à protéger les lieux où ils ont caché leur demeure. Ce sont notamment les crapauds, les lézards, les couleuvres, les coqs, etc… Si quelqu’un tue un de ces animaux, et spécialement ceux des sources, l’eau s’arrêtera de couler, raison pour laquelle il y a lieu d’éviter de les tuer.

4 – Les rites

Pour communiquer avec le monde d’en haut, selon les Aymaras le moyen le plus efficace est la messe, raison pour laquelle ils offrent des messes pour la santé de la famille, pour les défunts, pour remercier d’avoir reçu une faveur par l’intercession des Saints et pour n’importe quelle autre nécessité.

Au niveau du monde d’ici (Aka Pacha), c’est Dieu le Fils, Seigneur de l’Univers, qui tient à ses ordres tous les esprits qui habitent ce monde et qui ont les mêmes nécessités que les hommes : faim et soif comme les hommes. Pour qu’ils puissent remplir leurs fonctions protectrices, il faut que les hommes offrent des messes, de l’encens, etc…

Ces esprits ont le contrôle des maladies physiques et psychiques. Ils autorisent les maladies qui affectent les hommes pour leur rappeler de remplir leurs obligations religieuses et pour qu’ils se corrigent de leurs immoralités et injustices. Dans ce contexte, maintenir l’équilibre de communication harmonieuse entre ces divinités et les hommes est impérieux. Les rites et cérémonies comme la messe, la Ch’alla (aspersion rituelle), sont les moyens les plus adéquats pour maintenir cet équilibre.

« Los YATIRI » (les sages, prêtres traditionnels) sont chargés de réaliser ces rites expiatoires et de rappeler aux hommes leurs obligations pour le bon accomplissement des lois morales.

En ce qui concerne les esprits des ténèbres, leur but est de détruire l’homme. C’est pourquoi ce dernier doit faire attention de ne pas fréquenter les lieux occupés par ces esprits maléfiques sinon il perdra son âme et sa vie.

Les démons de la mine exigent des sacrifices aux moments voulus ; à défaut, ils provoquent des accidents et plus tard ils s’approprieront les âmes des hommes. C’est pourquoi les mineurs pratiquent divers rituels en leur hommage. Ainsi, à ORURO (Bolivie), le démon de la mine est connu sous le nom de « TIO » de la mine.

Quand un Aymara a perdu son âme par l’action des esprits maléfiques, il souffre alors d’une infirmité qui lui fait perdre l’équilibre mental : il perd la raison et s’approche des lieux éloignés où il trouvera l’autodestruction.

Pour libérer l’âme capturée par les esprits maléfiques, il faut leur offrir des sacrifices d’animaux.

Puisque les esprits maléfiques sévissent la nuit, il est fortement recommandé de ne pas voyager seul nuitamment et il est déconseillé de se trouver près des endroits où demeurent ces esprits mauvais.

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Le sacerdoce aymara

Les Aymaras reconnaissent que pour communiquer avec Dieu, ils ont besoin de médiateurs, de personnes (hommes ou femmes) qui se chargent d’offrir des libations et sacrifices et qui enseignent les obligations religieuses à leur peuple. Ces personnes sont dénommées « YATIRI », »LAIQUA », « PAQU ».

« El YATIRI », c’est celui qui sait ou qui connait et qui essaye de remplir son rôle de guide spirituel et moral des membres de sa communauté. Il oriente les personnes dans leurs décisions personnelles au moyen soit de la divination, soit de la lecture de la coca (en cecas il est connu sous le nom de AKULLIRI).

Dans la société aymara, il y a deux sphères problématiques qui nécessitent des réponses urgentes : le maintien de l’équilibre de communication entre les êtres surnaturels qui contrôlent le monde et la solution au problème des maladies qui frappent la population.

Sous la dénomination de YATIRI, on peut regrouper tous le spécialistes en religion aymara (yatiri, paqu, laiqua) tandis que sous la dénomination de QULLIRI (médecin natif), on peut regrouper les spécialistes en médecine (qulliri : médecin natif ; thaliri : chiropracteur ; usuiri : sage-femme, homme).

Le yatiri est maître et prêtre. Comme maître, il s’occupe notamment de la moralité des habitants de sa communauté, laquelle, en retour, exige de lui une vie morale intègre. Ainsi doit-il vivre de manière équilibrée, honnête, selon les principes moraux des Aymaras. En raison de sa vie et de sa sagesse, beaucoup lui demande conseil et il se fait confident et conseil des familles.

Par la lecture de la coca, il prédit le futur, retrouve les objets perdus. Dans les cas de maladies d’origine pathologique, il recommandera l’intervention d’un médecin traditionnel (qulliri) et dans les cas de maladies psychosomatiques, il recommandera de les soigner au moyen de sacrifices rituels en offrande aux esprits tutélaires.

Il importe de préciser ici que le yatiri n’est pas un chaman : il n’est pas un manipulateur magique du monde surnaturel aymara.

Le yatiri remplit une fonction nettement sacerdotale. Il possède une connaissance idéologique de sa religion ; il s’est spécialisé dans les rites de sa religion dont il est gardien et diffuseur vigilant. Par-dessus tout, il est le « leader » de sa communauté. Son ministère est d’origine divine car chez les Aymaras existe l’idée que personne ne peut remplir cette charge sans avoir été élu par la divinité. Le yatiri a fait le vœu d’utiliser toutes ses connaissances uniquement pour faire le bien de l’humanité et offrir des sacrifices aux esprits tutélaires, à la Pachamama et aux Saints.

Parmi ces rites notons :

– « la WILANCHA » est le sacrifice d’un agneau ou d’un lama et se pratique dans les occasions importantes comme la construction d’une maison, d’une école, d’une église, d’un pont, etc… pour s’assurer le succès et la sécurité physique des travailleurs ;

– « EL AYTA » est l’offrande, préparée avec des feuilles de coca et de la confiture, notamment, faite à la Pachamama et aux esprits tutélaires en toutes saisons, suivant le calendrier agricole (notamment au temps des semailles, au temps de la moisson), ayant comme but de contrecarrer les phénomènes atmosphériques dommageables et qui sont vus comme des châtiments divins. Ce même rite est aussi pratiqué au niveau familial et personnel pour le bien-être, l’harmonie de la famille et la guérison des malades. A ces occasions, il est aussi procédé à la crémation d’encens et de plantes aromatiques. Nous y revenons plus en détail ci-après.

– « EL LAIQUA », est le Yatiri qui a conclu un pacte avec l’esprit du mal. Ses services sont sollicités pour réaliser ou contrecarrer un envoûtement. Ses rites sont maléfiques par nature car il est supposé avoir fait un pacte avec le diable. Sa présence dans la communauté est redoutée car on sait qu’il peut faire du mal. Malgré cela, il est toléré dans la communauté car il devine et prédit l’avenir et il soigne certaines maladies.

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Les « hommes-médecine » traditionnels

En raison de la situation d’abandon socio-économique que connaissent « los campesinos » en général, les conséquences relatives à la santé sont graves. Il y a une grande mortalité infantile et les maladies contagieuses sont la cause de bien des ravages dans la population paysanne.

Comme déjà signalé antérieurement, les maladies sont considérées comme étant la conséquence de châtiments divins mais les Aymaras savent aussi que bien des maladies sont la conséquence de facteurs pathogènes et autres causes psychiques. Aussi ont-ils appris à résoudre ces problèmes en développant une science médicale propre.

« El QULLIRI » est le terme général pour identifier tous ceux qui détiennent la connaissance de la médecine autochtone mais cette appellation est spécialement applicable à celui qui possède la connaissance médicale. Sa science consiste en la connaissance des propriétés curatives des plantes médicales et en la préparation de breuvages pour chaque maladie suivant les cas. Il détient également une connaissance psychologique de son peuple et il traite avec chacun de ses patients avec beaucoup de confiance et suscite en eux une foi profonde en ses propres connaissances médicales. Malgré ses connaissances, « el QULLIRI » ne s’attribue pas le succès personnel des guérisons obtenues : il les attribue à l’intervention divine. Il faut donc souligner l’aspect religieux de la guérison. D’ailleurs, il prie avant de poser son diagnostique. Aussi, souvent est-il nécessaire de faire un « paiement » (offrande) à la Pachamama et aux esprits tutélaires.

« El USUIRI » est celui qui assiste les parturientes.

« El THALIRI » est un spécialiste en maladies psychosomatiques.

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Productions alimentaires et rites agricoles

La vie de l’homme sur terre dépend des aliments qu’il obtient d’elle. Depuis que l’homme est apparu sur terre, il a établi une relation entre lui et celle-ci.

Pour l’homme andin en général et pour le peuple aymara en particulier existe une relation existentielle et vitale entre lui et la terre. Cette dernière est reconnue comme la « PACHAMAMA » c’est-à-dire la Mère Terre qui est source et réserve de vie. Pour cela, elle est considérée digne de vénération. De là vient que les relations entre l’homme aymara et la terre sont exprimées en termes religieux et sociaux à travers les rites et cérémonies qui se pratiquent durant les semailles et les récoltes des aliments cultivés sur l’Altiplano. Il faut noter spécialement le rite de la plantation et de la récolte de la pomme de terre car ce tubercule est l’aliment principal de ce peuple.

Le cycle agricole dans l’Altiplano commence au mois d’août et se termine en juin de l’année suivante avec la récolte « del chuño » qui est une pomme de terre congelée et séchée. Pendant les premiers jours du mois d’août « los campesinos » (les paysans) allument des feux (fogatas) de bouses d’animaux avec l’idée d’aider au réchauffement (il fait froid en altitude) de la Pachamama, ce qui constitue le premier rite dans le calendrier agricole de l’année en l’honneur de la Mère Terre. Traditionnellement, le 1er août constitue l’an nouveau andin et qui se déroule au rythme du cycle agricole.

1- Rite des semailles : « el AYTA »
Quand est arrivée la date de semer la patate, les familles aymaras se dirigent avec leur attelage et leurs semences et autres instruments de labour, au lieu où se sème la patate. Une fois réunis, ils demandent au yatiri (ou celui qui fait office) de réaliser le rite « del ayta » à la Pachamama. A cette fin, ils lui remettent deux petites coupes d’alcool. L’officiant prend les coupes et, après avoir demandé la permission aux personnes présentes, s’éloignant un peu et regardant vers l’orient, il verse l’alcool en ligne droite sur la terre avec beaucoup de vénération en même temps qu’il prononce la prière ad hoc ainsi que les prières catholiques bien connues de tous. Après cette « ch’alla » initiale, le chef de la communauté offre des coupes d’alcool (ou bouteilles) à l’officiant, lequel se servant souhaite à tous chance et félicité. Ensuite, chacun se sert avec beaucoup de révérence et attend la suite de la cérémonie du « paiement à la terre » (pago a la Pachamama). Vient alors le moment où l’officiant prépare l’offrande constituée notamment de feuilles de coca, de graisse de lama, d’alcool, d’herbes aromatiques, de confiture, etc… Le tout sera soit enterré dans un lieu spécial en la terre à ensemencer, soit brûlé en offrande. Cette cérémonie terminée, les hommes se dirigent immédiatement vers leur attelage pour faire les sillons tandis que les femmes préparent les semences.

2- Rite de fin de récolte : la MAMATAN URUPA
Le vocable MAMATAN vient de deux mots aymaras « Mama » « Jatha » et signifie « Mère Semailles ».

Ce rite de la Mamatan Urupa s’opère à la Pentecôte, soit à une date où la majorité des récoltes est terminée. A cette occasion, beaucoup de familles amènent à la messe ses meilleures patates afin qu’elles soient bénies. D’autres familles exécutent le rite traditionnel à la maison, en famille.

Le samedi après-midi ou le dimanche de Pentecôte au soir, les familles chargent les enfants d’allumer un feu de bouse (fogata) et d’entourer les coins des maisons avec des monticules de pierres (« Saywa ») en signe de protection.

Le dimanche de Pentecôte, les familles se réunissent dans une maison spécialement désignée où la maîtresse des lieux a préparé dans le jardin un paquet avec les plus grandes patates, aux formes disparates, et les plus beaux légumes de la récolte. Les participants s’installent alors dans le jardin avec beaucoup de révérence. Le yatiri (ou celui qui officie) procède alors à la « Ch’alla » et offre « el ayta » à Dieu et à la Pachamama. Les participants sont invités à choisir 3 feuilles de coca aux formes parfaites en sollicitant toutes sortes de bénédictions. L’officiant verse ensuite du vin sur les patates et les produits agricoles représentant toutes les récoltes de l’année. Alors, l’officiant entame la prière à la Mamata (Madre Semilla) et tous les participants répètent mot à mot la prière du yatiri. A la fin,, « el Yata » est brûlé en même temps que du vin est arrosé sur la terre dans toutes les directions puis la maîtresse de maison remet trois produits agricoles à chaque assistant afin qu’il les conserve jusqu’aux prochaines semailles. La fête continue au son des instruments de musique…

En réalité, il existe une très grande variété de rites chez les Aymaras, du plus simple au plus complexe. Ils célèbrent leurs fêtes populaires au rythme des semailles et des récoltes car ils sont profondément attachés à et enracinés dans leur terre. Pour eux, la Mère Terre, Pachamama, est sacrée.

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Le culte à la PACHAMAMA

Le culte à la Pachamama est pratiqué depuis les temps pré-incaïques dans le monde andin.

La terre pour les andins n’est pas seulement la terre : elle est le centre de leur existence, la source de leur organisation sociale et l’origine de leurs traditions et coutumes. Ainsi peut-on dira que la terre est la vie même du peuple andin, son histoire personnelle et populaire.

Pour les Aymaras, la terre se comporte comme une personne. Comme « mère », elle donne vie et reçoit les restes mortels. En elle, s’opère les miracles de la vie, tant dans le monde végétal qu’animal. C’est surtout vrai lorsque l’Aymara observe avec vénération la croissance merveilleuse des plantes qui naissent de la mort des graines semées dans les sillons de la terre. Il observe aussi la reniassance des plantes et des fleurs et recueille avec reconnaissance les fruits nouveaux que la terre produit en réponse à son travail et il célèbre avec joie, rites et fêtes ce bonheur renouvelé. Il ne faut pas rechercher plus loin le pourquoi de cette vénération envers la Pachamama.

C’est dans l’agriculture que s’établit cette relation privilégiée homme-terre. Il y va d’une coexistence intime de type familier. Il s’établit un véritable compagnonnage entre la terre et l’homme, entre les plantes, les animaux et l’homme. C’est pourquoi l’Aymara est tellement respectueux de la Mère Terre et qu’il veille à ne pas rompre la relation harmonieuse avec elle. Il voit en elle quelque chose d’admirable et de communiquant.

La terre est une valeur importantissime pour le paysan andin parce que précisément il vit de la terre et sa société est organisée sur base agraire. A cause de son importance économique, il la vénère comme « Pacha Mama ».

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Le culte des défunts

Le 1er novembre, le peuple aymara fait la fête à ses défunts qu’il appelle « almas benditas ».

Anciennement, à la Toussaint, les Aymaras sortaient les dépouilles de leurs défunts de la tombe pour les fêter. Ils leur offraient à boire et à manger, les revêtaient de leurs plus beaux atours, leur mettaient des plumes sur la tête, chantaient et dansaient avec eux, les plaçaient sur des brancards et les promenaient de rue en rue et sur les places, puis les reconduisaient dans leur tombe avec vaisselle, nourriture et vêtements.

Cette fête remonte à une tradition millénaire qui se renouvelle chaque année mais, actuellement, sans relèvement des morts.
Les Aymaras croient que les esprits de leurs ancêtres viennent partager leurs messages et faire leurs recommandations pour restaurer ou maintenir l’harmonie au sein de la communauté et des familles. Ce sont, selon eux, ces mêmes esprits qui amènent la pluie afin de conserver à la terre sa fertilité et que tout ce qui a été semé produise du fruit en abondance.

Selon la croyance aymara, l’esprit de leurs ancêtres reste vivant et se préoccupe de ceux qui vivent sur terre, dans le monde d’ici (Aka Pacha). Aussi le peuple aymara se réjouit-il de célébrer cette fête avec leurs ancêtres qu’ils reçoivent avec grande abondance de nourriture et de boissons.

C’est une grande fête joyeuse que même les plus pauvres se doivent de célébrer. C’est vraiment toute la communauté qui est en fête.

Il y va d’une véritable célébration pleine de valeurs, de solidarités et dans l’espérance de la croissance de la vie.

Y participent les enfants, les jeunes, les adultes et les aînés et ce depuis le temps des préparatifs jusqu’à l’adieu aux esprits des ancêtres.

Les Aymaras célèbrent cette fête dans une ambiance particulièrement festive avec de grands moment de signification symbolique. Tout le monde se retrouve au cimetière et y fait la… fête : on y danse, on y mange, on y boit, le tout au son des instruments de musique dans une ambiance de grande joie et de grande convivialité qui contraste singulièrement avec la tristesse et la froideur de nos cimetières européens le même jour !

Tableaux touchants, les petites filles, vêtues comme de vraies petites mamans, vont de rue en rue, leur « wawa » (bébé) bien emmailloté sur le dos (ils sont confectionnés en pâte à pain et en sucre) et sollicitent des adultes de baptiser leur bébé, c’est-à-dire de leur donner un nom, en contrepartie de quoi elles reçoivent une piécette d’argent et/ou un bonbon.

Les petits garçons en font de même mais, eux, ils tirent, à l’aide d’une ficelle, un petit chariot en bois à roulettes sur lequel est juché un petit diable fabriqué de la même pâte et du même sucre. C’est vraiment le cas de dire que tout cela est « bon enfant » !

Le même jour, les familles, qui ont perdu un proche dans l’année, procèdent à un rite particulier auquel sont conviés la famille, les voisins, les amis et connaissances.

Ce rite est reconduit en principe pendant trois ans à partir de l’année du décès. Il consiste notamment à dresser à la maison une table en forme de catafalque où on trouve bien ordonnés les effets et objets personnels du défunt, moult nourriture et boissons,- en fait tout ce que le défunt aimait et préférait-, des photos du défunt, ses vêtements et accessoires divers, voire parfois même son téléphone mobile.

Après s’être recueilli et être entré en communication avec l’esprit vivant de cet être cher récemment disparu, on mange, on boit et on fait la fête ensemble puis, in fine, avant de se séparer, on se répartit ces bonnes choses et chacun en ramène une partie avec soi (et en fera peut-être cadeau sur le chemin du retour à une petite fille ou à un petit garçon qui demandera de « bautisar a su wawa o diablito »).

Ce rite particulier est dans la droite ligne de ce que vivent et ressentent les Aymaras. En fait cette fête est l’expérience vécue d’un véritable sentiment transcendantal d’union avec Dieu Père et la Pachamama à travers la rencontre avec l’esprit des ancêtres. Il faut donc y voir bien davantage que le simple fait de boire et de manger !

Enfin, est-il besoin de souligner que ce jour-là presque toutes les familles font dire des messes pour leurs défunts et ce avec beaucoup de vénération et viennent y faire bénir les gerbes de fleurs et couronnes qui iront garnir les tombes et cimetières. Il convient en effet de savoir que le peuple aymara détient seul au Pérou le droit d’enterrer ses morts non pas au cimetière communal mais sur leurs propres terres, souvent tout à proximité de la maison familiale, une façon de plus pour lui de bien marquer son attachement à la Madre Tierra.

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La coca, feuille sacrée

Depuis des temps très anciens, on se partage la coca dans le monde andin où elle est omniprésente. Elle est également offerte lors des rites et sacrifices. Bref, elle fait partie intégrante de la vie des peuples andins.

Elle accompagne le yatiri dans tous ses rites et sa « lecture » permet de dire l’avenir et guérir certaines maladies.

C’est aussi avec la coca qu’il est demandé pardon à la terre ainsi que sa permission avant de commencer le travail des champs.

Elle constitue aussi un coupe-faim et un antifatigue dans les circonstances de vie difficiles de l’Altiplano et accompagne le paysan andin en toutes circonstances.

Selon une légende, il se dit que la Madre Luna, en accomplissement d’un ordre de Padre Sol, a semé la coca comme un arbuste sacré pour qu’il donne ses feuilles à l’humanité afin de soulager la fatigue, la douleur et la faim. Cette même légende dit aussi : « Quand l’homme blanc voudra faire la même chose et osera utiliser comme vous (Ndlr : les peuples andins) ces feuilles de coca, il lui arrivera tout le contraire. Son jus, qui pour vous sera force et vie, pour nos maîtres (Ndlr : les conquistadores espagnols à l’époque) sera un vice répugnant et dégénérescent ; malgré que pour vous ce sera un aliment quasi spirituel, à eux, il causera idiotie et folie. ». Quels propos visionnaires !

La feuille de coca est aussi partagée lors de la naissance de toute nouvelle vie reçue comme un cadeau de la Pachamama, tout comme elle est offerte aux parents de la fiancée lorsqu’on leur demande la main de leur fille.

Le partage de la coca constitue aussi l’expression de l’amitié et de la tendresse. Un des meilleurs moyens d’exprimer cette amitié et cette tendresse à d’autres personnes, c’est précisément de leur offrir une poignée de feuilles de coca. Celle-ci est tellement vénérée qu’en ce cas elle reçoit un baiser, signe de cette amitié et de cette tendresse partagées.

Pour les peuples andins, l’offrande d’une poignée de feuilles de coca a beaucoup plus d’importance que la parole donnée. Plutôt que de dire des mots gentils, il vaut mieux offrir des feuilles de coca, expression de tendresse et de respect.

La coca accompagne vraiment toutes les circonstances de la vie. Aussi est-elle présente également dans les moments de douleur et notamment lors de l’adieu à un être cher. Dans les situations de tristesse, elle se transforme en la même expression de cette triste réalité mais en même temps elle est un élément de consolation et d’espérance.

Ainsi donc est-elle l’élément central des rites des aytiri en offrande à Dieu Père, à la Pachamama et aux esprits tutélaires.

Sources:

ARNOLD, Simon-Pierre, Ritualidad y cambios. El caso aymara, Idea/Cep, Puno, 2004
BASCOPÉ CAERO, Victor , Espiritualidad originaria en el Pacha Andinó. Aproximaciones teológicas, Editorial Verbo Divino, Bolivia, Cochabamba, 2008
IRRÁZAVAL, Diego, Raíces de la esperanza, Idea/Cep, Puno, 2004
LLANQUE CHANA, Domingo, La cultura aymara. Desestructuración o afirmación de identidad, Idea/Tarea, Lima, 1990
IDEM, Vida y Teológia Andina, Cbc/Idea, Cuzco, 2004